Sur un site de langue française, il parait évident de communiquer la prononciation d’un mot sans équivoque. Exercice périlleux surtout quand on souhaite s’adresser à un large lectorat, du quidam au plus expérimenté.
Au début, je pensais offrir une retranscription phonétique par assemblage. C’est d’ailleurs ce que fait l’enfant en apprentissage de la lecture. Il lit chaque lettre les unes à la suite des autres pour former in fine un mot. La mémorisation de chaque lettre énoncée permet la découverte du mot. En fonction de sa bibliothèque de mots appris, il pourra lui donner un sens. Le « piano » est un mot, mais aussi et surtout un objet matériel identifiables par l’ensemble des locuteurs qui partagent notre langue. Dans cet exemple, toutes les lettres sont prononcées sans difficulté. Or, le français n’est pas aussi simple.
Comment, par exemple, faire entendre les voyelles nasales : [an] (divan), [in] (infantile), [on] (garçon), [un] (lundi) ou encore le [ch] (cheval), le [nll] (vigne), [ing] (parking) ? Ces phonèmes (sons) ne se retrouvent pas directement sous la forme de lettre. Il fallait donc trouver un alphabet spécifique capable de proposer tous les sons de la langue française. Celui-ci existe et porte le nom d’alphabet phonétique international (API) [¹]. Il est d’ailleurs utilisé par le Petit Robert et le Larousse pour les mots qui posent éventuellement une difficulté.
En parlant de ces deux ouvrages de référence, il faut faire quelques distinctions pour les versions en ligne. Le Larousse a choisi de proposer gratuitement une version allégée de son dictionnaire avec un nombre important de publicité. Aucune retranscription phonétique n’apparait si ce n’est la lecture vocale automatisée qui donne des résultats très mitigés [²]. En revanche, la version en ligne payante du Robert est plus fiable. En plus d’avoir l’API sur tous les mots, une lecture vocale adaptée est proposée pour les mots difficiles.
⏩ capture le Robert en ligne
⏩ capture le Larousse en ligne
La banque de dépannage linguistique – référence pour toutes les questions relatives à la langue française – a choisi d’adopter l’API. Seuls quelques caractères ont été adaptés pour mieux correspondre aux prononciations québécoises. Pour visualiser correctement tous les signes, il faut impérativement télécharger et installer une police spécifique (API TLFQ). La retranscription API se fait entre crochets, suivie – occasionnellement – d’une prononciation plus accessible entre parenthèses.
⏩ capture de la BDL
Je pourrais faire le tour d’autres grands noms comme le Littré, le Hanse, le Bon usage. Une petite visite des autres dictionnaires, notamment en langue anglaise, serait un bon exercice pour se faire une idée plus globale de l’approche phonétique. La démonstration, somme toute intéressante, risque de tirer en longueur.
⏩ capture du Cambridge en ligne
L’alphabet phonétique international
L’API possède de nombreux avantages. Le principal se résume comme suit : un seul signe pour un seul son et un seul son pour un seul signe [³]. Une sorte d’universalité dans la retranscription des sons. Cela suppose donc un ensemble de caractères communs avec d’autres langues proches du français. Seul gros inconvénient à mes yeux : il n’est pas entièrement intuitif même pour des locuteurs francophones. En effet, certains signes proposés par l’API s’éloignent de notre alphabet latin et de nos habitudes. Difficile de déduire que le son [ch] (cheval) est transcrit par le signe « ʃ » et « y » symbolise le son [u] (unisson). Sur les 37 signes proposés, seuls 17 nous sont familiers.
Par ailleurs, certains lui reprochent son manque de finesse. Par exemple, aucune distinction n’est faite entre un son court et long : mou [mu] et moue [mu] ; un fait [fɛ] et une fête [fɛt]. C’est étrange de ne pas retrouver la marque de longueur symbolisée par deux points (ː) comme on le retrouve en anglais (feast → [fiːst]). Sans doute une volonté de ne pas alourdir la prononciation.
Reste à trouver la bonne forme pour rendre compréhensible cet alphabet au quidam. La plupart des dictionnaires ont choisi la forme entre crochets [xx] quand il s’agit de l’API. On a plus rarement des parenthèses (xx) ou entre barres obliques /xx/. Face à cette disparité, il est toujours bon de se référer au début de l’ouvrage papier pour se familiariser avec les signes de la phonétique en usage. Dans mon cas, j’ai opté pour les crochets.
Enfin, les caractères spéciaux appartenant à l’API ne se trouvent pas nativement dans toutes les polices d’écriture. Voici les fontes compatibles avec l’alphabet universel: Arial, Arial Unidcode MS, Charis SIL, Courier New, Doulos SIL, Gentium, Lucida Grande, Lucida Sans Unicode, Microsoft Sans Serif, Seoge UI, Tahoma, Times New Roman.
L’alphabet phonétique du français
En cherchant sur la toile, je suis tombé sur l’alphabet phonétique du français (APF). Il a le mérite d’être plus accessible, mais conserve des caractères spéciaux pour certains sons (ö pour le son [eu], ê pour le son [in]). La retranscription du Littré semblait plus adaptée : [ch] (chat), [é] (éléphant), [è] (grève), [an] (divan), [on] (gond), [z] (zèbre), [k] (klaxon), [ll] (tra-vall), [j] (a-jin-da), [â] (âtre), [ô] (peau), [eu] (jeu). Sa principale qualité en fait son principal défaut : très léger et accessible, mais imprécis. Comment faire prononcer le son [ane] (manne) quand le couple an correspond au son [an] (grand) ? Pourquoi la moue est-elle retranscrite [moue] dans l’expression faire la moue, alors que le e est muet ? On trouve d’autres exemples comme le pudding [pou-dingh].
L’alphabet phonétique français
Le collectif Ortograf-FR milite pour une orthographe simplifiée et l’utilisation d’un alphabet phonétique français. Selon ce collectif, l’API est trop complexe pour les apprenants et ne reproduit pas suffisamment les nuances en français (par exemple la prononciation entre paix et pet). Cet alphabet contiendra une touche « digramme ». Cette dernière permet de relier deux lettres successives par un trait. Ainsi, les voyelles nasales (ou, an, in, eu) pourront être rapidement identifiées, tous les autres signes étant séparés.
⏩ capture Alphabet-fr
L’idée est intéressante mais elle nécessite la connaissance du principe de base. Après, la mise en pratique n’est pas idéale pour le web (utilisation d’un fonte de caractères spéciale), l’alphabet est peu (re)connu, comporte certaines incohérences et n’est pas finalisé.
À lire les articles du collectif, on est en droit de se poser certaines questions. Un dénigrement systématique envers les rectifications orthographiques. Cette critique virulente va de pair avec la valorisation et l’ingéniosité de leur alphabet, présenté comme le saint Graal dénué de toutes contraintes. Ils font régulièrement état de leur sentiment de sabotage de la presse à leur encontre et de la censure sur Wikipédia. La paranoïa est un autre élément récurrent du discours. Bref, il y a lieu d’avoir des réserves.
[¹] Voir le tableau des signes de l’API.
[²] Essayez « tiramisu » ou le fromage « munster ».
[³] C’est du moins la théorie. Je note par exemple que le symbole phonétique [r] censé représenter le même son, est différent en anglais (car) et en français (rouler). Idem pour le [e] qui se prononce é (thé) en français et è (egg) en anglais. Inversement, le son /a/ est retranscrit en phonétique par le signe [a] en français et [æ] dans l’autre langue. En anglais, on trouve des combinaisons de voyelles formant un seul signe phonétique – aussi appelé diphtongue (phone → [əʊ]). Autre élément troublant, dans la retranscription phonétique française, l’apostrophe en début de mot spécifie un h aspiré [’aʀiko] alors qu’en anglais ce signe précède l’accent tonique (stressed syllable) [’pɜː.fekt]. Toutes ces variantes en fonction de la langue ne convergent pas vers un alphabet universel.
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